L'héritage en question

Publié le par mouettes rieuses

 

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Passé l’effet de surprise qui m’a laissé dans une sorte d’état second, oscillant entre excitation et curiosité avec des pensées en forme de points d’interrogation plein la tête tant et si bien que je ne savais plus précisément qui j’étais, si toutefois je l’ai un jour su, ni où j’étais mais là c’était un peu normal : replié sur moi-même depuis quelque temps j’avais fini par me croire seul au monde, je baigne dans une sorte de béatitude à la limite de l’exaltation. Ces fluctuations émotionnelles me fatiguent parce qu’elles me secouent et me bousculent mais j’en avais grandement besoin. Avant de t’en dire plus, il me faut remonter le cours du temps afin que tu comprennes bien ce qui m’arrive et pourquoi je t’appelle aujourd’hui.

Ne m’interromps pas, je t’en prie. Je vais sans nul doute te paraître étrange mais ce sont les événements qui le sont et moi je tente juste de m’y retrouver et de savoir comment agir à présent. Quand j’aurais terminé ce que j’ai à te raconter et avant de formuler ma demande, tu pourras faire tes commentaires.

Tout a commencé par un nouveau massacre des quatre saisons de Vivaldi, le printemps précisément, pas très original et même plutôt banal comme sonnerie de téléphone mais j’étais un individu sans relief et tout ça collait parfaitement avec la fadeur de mon personnage. 

Stop, n’ajoute pas un mot sinon je n’arriverais pas à finir. Oui, j’ai utilisé l’imparfait et tu as bien entendu : j’étais un individu peu intéressant mais aujourd’hui ce n’est plus du tout le cas non pas que ma personnalité ait changé mais ma façon de vivre est en train d’opérer un virage radical et tellement inattendu que je me demande si je ne suis pas devenu un peu fou. Mais non je vais bien, merci.

Sur le coup, j’ai cru à une erreur de numéro. Je suis bien chez Monsieur M a dit une voix. Oui, ai-je répondu. Je suis Y., clerc du notaire et j’ai la charge de vous annoncer une nouvelle qui risque de vous surprendre. J’ai pensé, bonne ou mauvaise, la nouvelle, parce qu’à ce moment-là je grattais plus souvent la case « mauvaises nouvelles » mais je n’ai rien dit. … Il a été question de cousin décédé… d’héritage… de rendez-vous. Effectivement c’était une nouvelle mais sur le coup, je n’ai pas su si je devais la classer dans la catégorie bonne nouvelle ou dans l’autre. Le cousin en question m’était parfaitement  inconnu et je ne risque plus de le rencontrer si ce n’est dans l’au-delà. Il est mort des suites d’une longue maladie, avait expliqué  pudiquement le clerc au téléphone comme si les mots étaient la chose et que le nom de cette maladie ne devait pas être prononcé pour ne pas la faire advenir. Je n’ai pas cherché à en savoir plus, la relation naissante que je tissais avec ce parent qui avait daigné me léguer son bien ne faisait que commencer et je soupçonne qu’elle va occuper une grande place dans ma vie. Même en son absence… Deux mois se sont écoulés entre cet appel et le rendez-vous dans le bureau du notaire. Dans cet intervalle, j’ai ressassé une question qui me hantait  jusqu’à l’insomnie : pourquoi moi ?  A présent je me rends compte que ce n’était pas la bonne question, j’aurais dû me demander non pas pourquoi mais quoi….  La nature de l’héritage que j’allais recevoir m’importait peu… C’est dire si je vivais un temps perturbé. J’ai considéré cette annonce comme le signe du destin qui allait m’aider à prendre les décisions qui s’imposaient dans ma vie. Je venais de divorcer, et dans la foulée, sans aucun lien de cause à effet ou peut-être que si, j’ai perdu mon boulot de graphiste dans une agence de publicité en plein naufrage économique. Je n’arrivais pas bien à me remettre de ces pertes et ce d’autant moins que les deux événements m’étaient tombés dessus sans que je m’y sois attendu et depuis j’avais vraiment l’impression de vivre en marge de ma propre vie. J’ai cherché mollement un autre poste en appelant quelques contacts et en cliquant de-ci, de-là sur les sites spécialisés. Je manquais singulièrement d’énergie et je m’enfonçais doucement dans un état dépressif qui me laissait une bonne partie du temps à l’état de légume devant la télévision ou à peine mieux devant l’ordinateur. J’avais envisagé de quitter cette ville dans laquelle nous nous étions installés avec ma femme pour des raisons professionnelles. Mais je reportais sans cesse ce grand déménagement faute de projet motivant et d’énergie suffisante. Alors, Vivaldi … et son printemps, le notaire et son clerc, le cousin et l’héritage m’ont offert l’impulsion nécessaire pour une remise en mouvement, un grand bond en avant. 

Oui, je vais en venir au fait, ne sois pas si impatiente. Laisse-toi aller à mon histoire, elle est si peu banale et vu ce que je j’ai à te proposer, il vaut mieux que tu acceptes de m’écouter.

Le temps de quitter l’appartement, de vendre et de donner les quelques meubles que m’avait laissés mon ex-femme, de régler quelques problèmes administratifs et autres détails liés à mon déménagement, deux mois s’étaient ainsi écoulés. Un espace temps suffisant pour liquider ce passé que je ne veux pas rejeter mais dont je devais m’éloigner pour retrouver un présent dans lequel je puisse vivre entièrement. Lorsque j’ai enfin été prêt, j’ai chargé ma voiture de toutes mes possessions : quelques vêtements et divers livres. J’ai laissé à des amis un carton de documents en leur promettant de revenir les chercher mais en réalité, je suis persuadé que plus jamais je ne reviendrai dans cette ville et que la probabilité pour que ces dossiers me manquent, est si faible que j’aurais tout aussi bien pu les jeter.  900 kilomètres me séparaient de l’office notarial où m’attendait une nouvelle vie. Je les ai parcourus aussi vite que j’ai pu.  L’aventure commençait entourée d’un mystère presque entier qui laissait mon imagination libre de vagabonder et d’échafauder les hypothèses les plus débridées. J’étais loin du compte.

C’est ainsi que je me suis présenté un peu fripé devant un notaire avenant qui me souriait de toutes ses dents en faisant jaillir devant moi une main volontaire qui mettait en valeur la Rolex au poignet et la chevalière en or à l’index. Cher Monsieur, prenez place, il montrait une chaise anthropomorphique qui épouse la forme du corps et ne veut plus laisser partir celui qui y prend place  - je ne fais que répéter ce qu’il a dit à propos de ce siège – et c’était vrai mais je ne peux pas dire si cette impossibilité à m’extirper de cette chaise était due à son anthropomorphisation ou à ma  stupéfaction. Il a dû me lire le testament deux fois, je n’arrivais pas bien à croire ce que j’entendais si bien que je croyais ne pas bien entendre. 

J’ai accepté ce legs un peu comme on relève un défi sans savoir comment il engagerait mon avenir et pourtant  je pressentais que mon existence allait en être bouleversée, elle l’était déjà. En sortant de son bureau,  je suis allé directement m’assoir dans un café du centre bourg pour tenter de faire le point.  J’y suis resté environ trois heures. La pluie ruisselait abondamment sur les vitres auréolant de flou une place déserte où se perdait mon regard. J’avais l’impression d’être le personnage d’un rêve que j’étais en train de faire. Je sentais que ma réalité venait de basculer. Pas un instant,  je n’avais tenu compte des signaux d’alarme qui clignotaient dans ma tête alors que le notaire me détaillait l’héritage. J’avais dit oui, oui à tout, et le dossier que j’avais en main, en témoignait. Il me semblait que j’allais devoir m’inventer un nouveau monde pour l’ajuster à ce qui m’arrivait. J’étais devenu l’heureux propriétaire d’une île…  Heureux c’est le notaire qui avait choisi le qualificatif moi j’étais plutôt abasourdi.

Oui, j’ai bien dit une île. Une ile avec de l’eau tout autour. Trente minutes en bateau depuis le continent. Non, pas de plage, ce n’est qu’un très gros rocher. Il faut vingt-deux minutes pour en faire le tour tranquillement. Elle n’est pas déserte, il y de vieux marins que mon cousin hébergeait, trois chats, quatre poules. Bien sur, il y a une barque à moteur pour faire les allers retours vers le continent. Je me suis familiarisé à son usage. Et un voilier à l’ancre dans une crique abritée des vents dominants sur lequel il m’est arrivé de dormir un soir. Je suis là depuis huit jours et c’est comme si j’étais né ici. Mieux que le siège anthropomorphique du notaire, l’endroit m’a adopté sans rien me demander en échange ou alors si peu que je n’ai pas eu l’impression de fournir un quelconque effort pour m’y adapter. Le cousin avait offert, il y a quelques années, le gite à deux vieux marins que le monde avait laissé pour compte.  L’information a circulé, ils ont été jusqu’à sept mais certains sont morts d’autres sont venus. Ils sont trois à présent.  Deux maisons s’élèvent sur l’île, ils ont la leur, une belle bâtisse en pierre qui leur laisse une place confortable. Ils m’ont regardé avec méfiance lorsque j’ai débarqué, inquiets du sort que j’allais leur réserver.  Moi, j’étais plutôt content de les voir là, pour m’aider à faire mes premiers pas dans cette nouvelle vie et pour avoir de la compagnie. Devant mon attitude modeste et ouverte, ils se sont un peu déridés et m’ont fait les honneurs du lieu. Ils m’ont convié à leur dîner : un véritable festin, ils étaient allés pêcher dans la matinée et avaient mis un point d’honneur à cuisiner leurs prises avec soin et délicatesse. Le vin a délié les langues. Ils m’ont beaucoup parlé de mon cousin. Le portrait qu’ils ont dressé de lui, était emprunt d’humour, de tendresse et d’admiration. D’après eux, mon cousin était un savant qui occupait son temps à lire et à écrire. Il recherchait les légendes qui se rapportaient aux îles, à toutes les îles de la planète, et à ce que j’ai compris, il effectuait des études comparatives pour étudier la structure des récits de différentes cultures afin d’en faire ressortir les similitudes. Parfois le soir, il venait leur conter ses trouvailles. Il maîtrisait l’art du récit tant et si bien que tout ce qu’il disait, prenait des allures de palpitantes histoires. Il y a quelques semaines, il a déniché une légende concernant cette île sur laquelle je me retrouve qui les a tous beaucoup impressionnés. Eux, les marins ayant affronté d’innommables tempêtes, ayant eu affaire à des vents indomptés, ayant souffert du froid, de la fatigue et parfois même de la faim, affirmaient que cette fable leur faisait un peu peur et d’après ce que je saisissais, ils allaient jusqu’à penser qu’il s’agissait d’une prédiction et qu’à partir de cette trouvaille, mon cousin n’a plus été le même. Ils vont même jusqu’à considérer que sa mort est liée à cette découverte. Ces révélations m’ont un peu secoué par la nature mystérieuse qu’elles distillaient, le vin a surement contribué à favoriser et à amplifier une certaine nébulosité mentale. Cette soirée m’a projeté hors de mon univers personnel et donné l’impression d’une distorsion du réel. Leur chaleureux accueil, l’alcool, les histoires extraordinaires, le bouleversement et les émotions de ces derniers jours, je me sentais ailleurs mais étrangement, nulle part ailleurs, si présent et si vivant alors que je ne comprenais plus grand-chose à ce qui m’arrivait et cela n’avait aucune importance. Le sentiment était troublant. Tard dans la nuit, nous nous sommes séparés à regret. Je n’avais pas envie de dormir. Je me suis assis sur le banc de pierre devant la maison. Il faisait doux, la lune allait vers son néant. La trainée jaune qu’elle laissait sur la mer avait la finesse d’un pinceau. Un trait d’union entre l’île et le continent qui n’était plus qu’une masse sombre dont j’avais du mal à distinguer les formes. J’ai revisité mentalement les conversations de la soirée et décortiqué la légende qu’il m’avait fait entendre pour en comprendre les rouages narratifs et les singulières coïncidences avec ma situation actuelle. Dans la maison du cousin devenue ma propriété, doivent se trouver des éléments qui me permettront de comprendre ce récit mais surtout d’en vérifier l’interprétation. J’étais si excité à cette idée que je suis immédiatement rentré pour me mettre en quête documents intéressants. C’est à ce moment-là que j’ai eu envie de t’appeler, de te faire partager ce qui m’arrive mais aussi de te permettre de rencontrer ces hommes qui appartiennent à la mer. Je sais que tu es en convalescence mentale. Tu verras ici, tu pourras définitivement te remettre d’aplomb.  La vie te paraitra simple et légère. Tu pourras amarrer ta peine à ces marins échoués, intérieurement solides comme des rocs, ils iront te la noyer. Tu me seras aussi d’une aide précieuse si tu acceptes de jouer les archéologues dans les strates de documents, livres et revues qui s’amoncellent dans toutes les pièces.

-          Elle a accepté. Elle l’a fait sans trop se faire prier. Il me semble qu’elle aurait pu dire oui à n’importe quelle proposition qui lui aurait été gentiment formulée pour peu qu’elle l’éloigne de chez elle. A présent, il va falloir nous préparer, le temps presse. Tous les détails comptent à ce que j’ai pu comprendre. Si nous voulons réussir, il ne faut rien négliger.

-          Nous avons commencé à nous organiser en vue de ce moment. Il nous reste peu à faire nous serons largement prêts.  C’est à vous de jouer.

Elle est arrivée deux jours après mon appel. J’avais eu le temps de chercher dans les papiers des éléments de réponse aux questions restées en suspens. Son regard a immédiatement pointé ce qui ne collait pas dans notre hypothèse mais comme nous tous, elle a eu envie d’y croire.

Plus d’une semaine s’était écoulée depuis son installation ici. Levée de bonne heure, elle passait ses journées à étudier, à classer, à trier les dossiers. C’était une professionnelle des archives. Pendant ce temps, les marins m’apprenaient les techniques de pêche.  Nous étions parés pour l’aventure, nous ne l’évoquions même plus. J’avais l’impression pourtant que quelque chose m’échappait mais je ne voulais pas y prêter attention. J’avais juste envie de jouer à l’enfant sur une île au trésor, de me battre avec des pirates, d’affronter des tempêtes … Je n’avais jamais ressenti si fort cette impression de grande liberté. Mon esprit ne se heurtait plus aux parois du quotidien, il se dilatait jusqu’à l’horizon. La pleine lune approchait, la treizième de cette année qui était aussi la treizième année du millénaire. Le soir, nous dînions tous ensemble, elle nous détaillait l’avancée de ses travaux.  Elle pensait que nous avions peut-être mal compris la légende mais elle ne voulait pas avancer une interprétation qui serait plus juste selon elle. Quelques jours avaient suffi à la métamorphoser. Elle avait retrouvé un sourire radieux et des couleurs aux joues. La légende n’était peut être qu’un prétexte, un fantasme collectif pour se nourrir de fantaisie. L’île est comme un cœur qui bat au milieu de l’océan. Nous respirons le monde et l’imagination vagabonde toujours plus loin. La lune serait pleine le lendemain, nous serions fixés. Les marins étaient bien excités. Et leur agitation tranchait avec son calme à elle. J’ai eu du mal à trouver le sommeil.

Le jour se levait à peine. Je sentais qu’il s’était passé quelque chose mais je ne savais pas bien quoi. Je ne la trouvais pas dans la maison, elle semblait s’être volatilisée.

A la maison des marins, il n’y avait pas un bruit ce qui était étonnant à cette heure. Je me suis affolé un peu. Je suis parti faire le tour de l’île, courant presque jusqu’ à la crique.  Elle était déserte, le voilier avait disparu. C’est à ce moment-là que j’ai réellement compris la légende.  

 MCH

Publié dans contes de faits

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