Les lapins sont plus malins le matin 3/3

Publié le par mouettes rieuses

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Bernard et Laura avaient troqué leur costume de ville pour une tenue de scène. Laura, lumineuse, buste moulé dans le haut d’une robe verte qui s’évasait à la taille, chevelure en liberté. Attirante beauté qui captait l’attention. Bernard, costume sombre de coupe moderne sur chemise blanche et cravate de cuir était classe mais classique.  Adrien trouva astucieux cette agréable manière de détourner ainsi le regard des spectateurs vers la partenaire pendant les manipulations. Ils avaient du talent et du savoir-faire. Les tours de cartes étaient sophistiqués avec des mises en scène qui renouvelaient le genre. L’assemblée ne pipait mot. Le rythme des tours était soutenu, ne laissant place à aucun temps mort. Adrien se laissa prendre à ce spectacle.

 

Il y eut des poissons qui surgirent dans des bocaux, des grenouilles et des perroquets qui apparurent sur les tables et dans les verres, des foulards qui changeaient de couleurs et se multipliaient, des disparitions de portefeuilles, des apparitions de billets de banque, des substitutions de clefs etc. La salle applaudissait, les enfants s’étonnaient. Puis Laura demanda le silence pour permettre à Bernard de se concentrer très fort, il allait réaliser un tour de magie unique qui exigeait beaucoup de patience. Elle s’avança alors vers Adrien et lui murmura « Un messager va vous rendre visite, soyez attentif à ce qu’il vous dira et ne doutez pas » le laissant perplexe et intrigué. Ce qui se passa ensuite, il ne saurait le raconter en détail mais il se retrouva avec un lapin blanc sur les genoux. Le plus étonnant n’était pas la présence de cet animal mais le fait que le lapin lui parlait, du moins en fut-il persuadé car personne ne pu le confirmer ensuite. Adrien entendit clairement le lapin lui déclarer «  A compter de maintenant, il vous reste deux heures avant l’ouverture de la porte qui mène au pays des merveilles, le désir que vous formulerez  à ce moment là se réalisera, ne vous trompez pas de vœu et bonne chance » Et le lapin se retrouva dans un chapeau à saluer de la patte avant droite l’assistance qui applaudit à tout rompre.


Lorsque la lumière se fit à nouveau plus intense, il avisa que la chaise à ses côtés était vide. Adrien demanda où était passée sa voisine et Jean-Michel répondit négligemment  que suite à un appel téléphonique, elle avait dû partir très vite ce qui perturba Adrien. La soirée se poursuivit. Adrien se dit qu’il avait dû rêver les propos du lapin. Il mit cela sur le compte du punch. Encore heureux qu’il n’en ait pris que deux verres ! Il prit congé vers une heure du matin. Pendant le retour, il repensa au lapin bien qu’il fût convaincu d’avoir eu une hallucination même si Laura alors qu’il lui disait au-revoir lui avait glissé à l’oreille « N’oubliez pas » ravivant ses doutes d’avoir ou non vécu la scène, il se dit qu’il serait amusant de formuler un vœu. Il se rendit compte de la difficulté à n’en sélectionner qu’un. L’argent ne lui manquait pas mais s’il en obtenait plus, il se lancerait dans le mécénat. Son capital santé restait tout à fait bon. L’idée de retrouver sa femme vivante l’effleura mais il l’occulta aussitôt de peur de souffrir encore. Il extirpa de sa mémoire un désir qu’il avait enfant, être chef des pompiers pour conduire un camion rouge, rutilant et « pimponnant ». Il en sourit.


Une fois la liste des souhaits les plus évidents et les plus faciles, mais sans réel intérêt, épuisée, il poussa la réflexion et tomba sur le vœu d’avoir vingt ans, trouva que c’était  trop jeune, il s’arrêta à trente-cinq ans, quarante serait parfait. Il déclina ce vœu, le tourna dans tous les sens pour arriver à la conclusion qu’il fallait qu’il parte de ce qu’il était aujourd’hui. Il avait l’impression de n’avoir pas grand-chose à changer dans sa vie mais la soirée lui avait donné des envies de partage, de rencontre, des envies de bonheur simple avec les autres et il se remit à rêver, une idée se précisa il reconnut là son désir le plus puissant même s’il était réticent à le reconnaître comme tel et plus encore à l’accepter. Deux heures sonnaient lorsqu’il arriva à son domicile, fatigué mais heureux d’être sorti et plus encore d’en avoir pris du plaisir.


Cette nuit-là, il dormit comme un bienheureux. Le lapin blanc le visita en rêve. Il portait un costume sévère et un attaché case pendait à sa patte. Il avançait vers un arbre où s’était endormie une fillette. Arrivé à sa hauteur, il fit du bruit pour la réveiller. Il criait, « le temps presse, le temps presse ». L’enfant tout éberluée questionnait « mais pourquoi faire se dépêcher ainsi » et le lapin qui ne s’était pas arrêté, lança « la porte, ne s’ouvre qu’une fois par siècle et ne reste ouverte que peu de temps. Vite, il faut y aller. » La fillette se leva vacillante et le suivit. Adrien se réveilla avec un sentiment de bien-être. Il sut alors ce qui lui plairait par-dessus tout. Le lapin l’avait aidé à formuler son désir. Il avait brièvement évoqué cette envie en la repoussant aussitôt, pensant qu’il n’était pas prêt et ne le serait peut-être jamais plus. Mais c’était surtout la crainte d’être heureux à nouveau et de peut-être en souffrir ensuite qui le bloquait. Il décida qu’il était temps de modifier cette posture, et il se leva avec la ferme intention de se faire du bien. C’est ainsi qu’il se retrouva sur le chemin de la boulangerie pour aller s’acheter un croissant et une baguette fraîche. La perspective de démarrer ce dimanche en s’offrant le plaisir d’un petit déjeuner complet avec du pain frais, croustillant et un croissant au beurre qu’il réchaufferait un peu afin qu’il fonde dans la bouche lui parut en cet instant le summum du bien-être. Il s’en étonna et se dit que ce devait être là, le signe qu’il sortait de la longue torpeur où l’avait plongé la mort de sa femme. Il sentit l’odeur du pain qui sortait du four et flottait dans la rue. Il accéléra le pas comme s’il était pressé. Les vers du poète René Char lui vinrent aussitôt en tête « Hâte-toi, hâte-toi de transmettre ta part de merveilleux, de rébellion, de bienfaisance. Effectivement, tu es en retard sur la vie….. ». Oui, il devait se dépêcher de vivre. Entrant dans la boutique, il heurta une femme qui en sortait. Alors qu’il s’excusait en rougissant, elle dit « Comment allez-vous depuis hier soir », il la dévisagea et la reconnut, sa voisine de table, Sophie ou Sabine, il n’avait pas retenu son prénom mais il fut agréablement surpris de la rencontrer.


J’en serais enchanté.

Puis, avant d‘avoir même réfléchi, il s’entendit lui demander,

Et si nous prenions ce petit déjeuner ensemble. Enfin, reprit-il un peu gêné par son audace, si cela vous convient et si vous êtes seule.

Il eut l’impression qu’il s’engluait dans son propos et qu’il ferait mieux de se taire. Lui demander si elle était seule, quelle maladresse. Mais elle souriait,

C’est une excellente idée, j’allais vous faire la même proposition.

Il acheta baguette et  croissants, y ajouta un sachet de petits œufs en chocolat, Pâques approchait, réalisa-t-il. Il se sentit l’âme d’un enfant à la sortie de l’école, impatient, affamé et gourmand. Elle l’attendait devant la boutique, les yeux levés au ciel. Sans façon, elle lui prit le bras et se laissa guider. Tournant la tête vers la vitrine, il vit très nettement le lapin blanc en chocolat lui faire un clin d’œil. 

MCH

 

 

Publié dans contes de faits

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R
Si le lapin est si bon messager c'est peut-être grâce à la taille de ses oreilles. Il sait écouter.
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