Les lapins sont plus malins le matin 2/3

Publié le par mouettes rieuses

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- Je pensais que tu avais renoncé à venir, dit Jean-Michel en l’accueillant.

- Tu sais pertinemment que je t’aurais prévenu si tel était le cas. Mais vois, je suis bel et bien là et je vais même te dire que je suis prêt à affronter ton envahissante famille.

- Je leur ai dit que tu venais et ceux qui te connaissent sont très heureux de te revoir.


Passé le premier choc de se retrouver au milieu de tant de monde, d’avoir de tant de mains à serrer, d’embrassades chaleureuses à accepter, de sourires à rendre et tant de réponses aux questions plus ou moins discrètes auxquelles il avait plus ou moins répondu, il se retrouva un verre à la main, un peu à l’écart observant cette assemblée disparate mais qui semblait se trouver bien ensemble. Il regarda son verre, pensa qu’il n’avait pas bu d’alcool depuis dix ans au moins, hésita un instant avant d’en avaler le contenu et se promit que ce serait l’unique fois de la soirée où il dévierait ainsi de sa conduite Le punch aux accents fruités eut momentanément raison de cette résolution. Adrien osa un second verre. Certes il s’était décontracté mais la tête lui tournait un peu et il dut s’assoir.


- Je n’ai plus l’habitude ni de boire ni de passer du temps avec autant de personnes mais ça va aller et je vais me cantonner aux boissons sans alcool pour le reste de la soirée. Je suis content d’être là.

- Je l’espère bien mais n’hésite pas à me faire signe si tu as besoin de quelque chose ou si tu te sens mal à l’aise. Je suis très touché que tu aies accepté de venir ce soir. Je t’avais invité parce que j’avais vraiment envie de te savoir à mes côtés pour mes cinquante ans mais je craignais que ce soit pour toi une épreuve au-dessus de tes forces.

- Je suis un peu déboussolé, avoua Adrien, mais je pense sincèrement que le moment est venu de sortir de mon ermitage et je suis heureux que ce soit à l’occasion de cette fête.

- Viens, je vais te présenter Laura et Bernard, je les ai rencontrés il y a quatre ans sur une plage de la côte basque. Ils sont étonnants tous les deux, je ne t’en dis pas plus si ce n’est que vous possédez en commun cette passion des oiseaux et sur ce sujet vous êtes intarissables.


Bernard et Laura formaient un couple bizarrement assorti. Laura attirait le regard de tous ceux qui passaient à sa portée. Sa silhouette d’une taille moyenne, aux formes généreuses, aurait pu paraître quelconque si elle n’avait été dominée par cette chevelure volumineuse, tirant sur le roux faisant immanquablement penser à une crinière. Cette masse de cheveux tombant en cascade sur les épaules, accentuait la finesse des traits, la pâleur de la peau et l’éclat d’un regard vert émeraude. A première vue, elle éclipsait totalement son compagnon qui paraissait très fade si l’on n’y prêtait pas attention. En s’attardant sur le visage de celui-ci, on notait des yeux qui évoluaient sans cesse et s’animaient étrangement, dégageant une impression presque inconfortable. Sa voix grave, chaude avec une pointe d’accent russe, que lui avait légué une grand-mère, atténua le léger malaise qu’Adrien avait éprouvé au premier abord, et quelques minutes après leur rencontre l’impression s’inversa totalement. Non seulement, il se sentit bien en leur compagnie mais c’était désormais Bernard qui captait entièrement son attention. Leur conversation passa sans accroc de l’observation des oiseaux à celle de leurs contemporains. Avant qu’il n’ait réalisé ce qu’il état en train de révéler, Adrien leur confiait ses réflexions sur la solitude et l’impérieuse nécessité de s’y confronter à différents moments de la vie mais aussi dont il fallait savoir sortir pour ne pas se laissait enfermer dans son cocon et que ce refuge ne se transforme en fuite permanente de la réalité voire en une misogynie chronique et incurable. Il leur raconta comment sa femme, la mère de sa fille avait péri dans un accident de voiture alors qu’il s’était mis au volant contre l’avis de tous, après une soirée bien arrosée. Le prix à payer pour cet instant de suffisance et d’insouciance était si élevé qu’il se demandait encore comment il avait pu survivre. Il l’avait fait pour sa petite fille qui ne méritait pas d’être abandonnée, mais aussi par orgueil pour assumer entièrement sa responsabilité et porter tout le poids de la culpabilité. Il avait néanmoins dû avoir recours au progrès de la chimie pour affronter cette horreur.

 

Bernard et Laura le laissèrent poursuivre un moment son monologue sur la culpabilité et la repentance. Alors que son propos commençait à tourner en rond et à s’essouffler Bernard lui demanda :

- Vous êtes un ami d’Alice

De qui ? Alice ? Je crains de ne pas connaître de personne répondant à ce prénom. Alice qui ?

Alice, l’unique, celle du pays des merveilles.

- Lewis Carroll… celle-là,  Pourquoi cette question ?

- Le lapin blanc, celui qui ouvre l’histoire, celui qui va conduire Alice dans ce pays des merveilles,

répondit Bernard en souriant.


Il fallut à Adrien, quelques secondes pour comprendre le lien fait par Bernard entre les questions posées et son pin’s. Il rit et s’étonna de sentir son rire. Il ne riait plus si souvent, d’ailleurs avait-il ri toutes ces longues années de pénitence. Pourtant Bernard et Laura ne riaient pas et leur sérieux l’intrigua.


-  Je ne connais plus le chemin de ce pays, leur dit-il.

- Je peux vous y conduire, j’ai un ami qui sait s’y rendre et entretient avec Alice les rapports les plus cordiaux assura Bernard

 

ajouta Laura qui n’avait pas encore pris la parole.

- Affiner votre désir de merveilleux, et soyez prêt à le vivre. Mais faîtes-le vite pour ne pas laisser passer l’ouverture de la porte,

compléta mystérieusement Bernard.


L’échange laissa Adrien perplexe mais il n’eut pas le temps de le poursuivre, le repas les sépara. Il se retrouva assis à la table d’honneur face à Jean-Michel, entre une cousine et une nièce. Il s’étonna de se laisser aller sans réticences aux conversations qu’il y a peu, il aurait trouvé futiles et sans aucun intérêt. Il prit plaisir à discuter avec sa voisine de littérature et de philosophie. Il s’étonna de la profondeur des propos qu’elle tenait marquant une réflexion creusée sans être pédante qui lui laissa penser qu’elle avait dû rencontrer une souffrance contre laquelle elle avait lutté. Il se sentit bien dans cet échange. Leur conversation prit un tour plus personnel. Ils se rendirent compte qu’ils avaient bien des idées et des goûts en commun. Pendant ce moment, Adrien eut l’impression de redécouvrir la vie à travers l’émotion qu’il ressentait mais refusait de définir. Un court instant, il chercha des yeux Bernard et Laura mais ne put les apercevoir. Il s’en intrigua. Il parcourut à nouveau l’assemblée du regard, table après table, mais ne les vit pas plus. Il allait en faire la réflexion à Jean-Michel quand intervint une coupure d’électricité. Dans l’obscurité, on entendit des grands ha et des petits gloussements et lorsque la lumière revint, elle laissait la salle dans une douce pénombre à l’exception d’un cercle fort lumineux en son centre dans lequel, se tenaient Bernard et Laura. A voir les accessoires qui les entouraient, chacun comprit qu’ils allaient effectuer des tours de magies. Les enfants les plus jeunes, s’assirent à même le sol face aux artistes pour mieux profiter du spectacle. Les plus âgés sortirent discrètement pour aller fumer au grand air et se libérer un peu des adultes qui selon eux étaient vraiment loin d’être des gens sérieux. car la magie, c’était vraiment ringard à leurs yeux.

A suivre

MCH

 

Publié dans contes de faits

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