Les étourderies de la petite fée Margotte

Publié le par mouettes rieuses

cap nemo 4

Une fois de plus, elle avait oublié la formule exacte et une fois de plus c’était moi, qui faisais les frais de sa distraction. Je suis Pacha, superbe chat roux, très distingué, aux grands yeux verts, aux longues moustaches, doté d’une intelligence rare et raffinée. Régulièrement, ma maîtresse Margotte, une petite fée de troisième catégorie qui avait obtenu l’autorisation d’exercer la magie, effectuait des expériences pour son propre compte dans le but de passer en deuxième catégorie, et malheureusement j’étais très souvent le sujet de ses exercices, mais aussi souvent, la victime de ses fréquentes erreurs.

La première fois que ma maîtresse s’est entraînée, elle avait voulu me transformer en une vigoureuse jeune fille pour avoir de l’aide dans la maison, faire la vaisselle, le ménage, lui rappeler les bonnes recettes de magie ou encore retrouver la baguette qu’elle égarait sans cesse. Moi, je ne voulais pas d’un tel changement, mais bien sûr, elle ne me demandait jamais mon avis, et la plupart du temps, elle me surprenait pendant mon sommeil si bien que je m’endormais comme le matou que j’étais et je m’éveillais sous une autre forme. A la première tentative, elle se trompa dans sa formule et je suis devenu un vase, qui plus est rempli d’eau avec des fleurs dedans. Vous savez peut-être que les chats ont horreur de l’eau. J’ai failli me noyer. Et, avant de retrouver ma forme de félin, j’ai dû subir d’autres essais tout aussi désastreux, j’ai ainsi été transformé en éponge puis en tabouret, en poireau, et même en mouche qu’une araignée voulait dévorer. Enfin, après tout cela, je me suis retrouvé sur mon coussin douillet mais je n’étais plus du tout roux, je portais d’élégantes rayures jaunes et rouges. Même si je trouvais que cette parure ne m’allait pas si mal et faisait bien ressortir la couleur de mes yeux, j’aurais aimé reprendre ma belle robe rousse. J’en vis de toutes les couleurs avant de redevenir comme avant. Il m’arrivait de craindre que ma maîtresse ne se souvienne plus de la bonne formule pour me remettre en état et que je reste à jamais sous la forme d’une casserole ou encore d’un chou-fleur ou pire d’une souris, dans ce dernier cas, comble de l’horreur, j’aurais même pu me faire dévorer par un chat.

La vie n’était pas vraiment de tout repos avec la petite fée Margotte mais elle était si gentille que tout lui était pardonné. Quand elle commettait une erreur, elle prenait un air tellement désolé que l’on avait plus envie de la consoler que de la blâmer.

Nous vivions dans une petite maison au cœur d’une forêt, là où habitent d’autres fées, des sorcières, des lutins et tous les autres êtres qui possèdent des pouvoirs magiques. Quelques fées, avec lesquelles elle était amie, venaient parfois prendre le thé. Il valait mieux, lors de ces retrouvailles, ne pas se faire trop remarquer car elles pouvaient se mettre à métamorphoser tout ce qui était à leur portée, comme ça, juste pour s’amuser. Parfois, elles oubliaient de tout remettre en ordre. Il m’est arrivé de rester plusieurs jours sous la forme d’une fourchette et allez donc vous faire remarquer quand vous êtes une fourchette. Ma maitresse, la petite fée Margotte, finissait toujours par s’apercevoir de mon absence mais il lui fallait du temps pour découvrir sous quelle forme j’avais été figé. Par moment, elle m’épargnait, et je pouvais rester un peu tranquille mais il pouvait aussi lui arriver de s’acharner sur mon coussin. Un soir, elle l’a changé en cactus alors que je dormais paisiblement dessus. J’ai miaulé des heures entières pendant qu’elle enlevait tous les piquants qui étaient rentrés sous ma peau.

Un jour, elle prit une grande décision qui allait l’occuper longtemps. Elle voulait apporter quelques modifications aux célèbres personnages de contes de fées pour les aider à parvenir au bonheur plus rapidement. Elle disait : « pourquoi la belle au bois dormant doit-elle dormir cent ans, dix jours suffiraient amplement ». Elle affirmait que les chaussures de Cendrillon ne se faisaient plus du tout. Quant au carrosse, c’était grandement dépassé, ça avançait trop lentement. Ce qu’il lui fallait à Cendrillon c’était une belle voiture décapotable rouge ou jaune – elle aimait bien ces couleurs - ou encore une moto. C’est ainsi qu’enfin je pus dormir paisiblement sur mon coussin pendant qu’elle semait la pagaille dans les histoires de fées et de princesses et autre chaperon rouge. Et, chaque fois que je me réveillais, j’étais témoin du désordre qu’elle semait dans les contes.

La petite fée Margotte démarra son projet par le petit chaperon rouge. Son intention était louable : elle voulait que le loup n’ait pas du tout faim pour ne pas dévorer la grand-mère et le petit chaperon rouge. Aussi avait-elle décidé d’ajouter dans le panier que la petite fille allait porter à sa grand-mère, en plus du petit pot de beurre et de la galette, un poulet cuit à point avec des pommes de terre sautées. La pauvre bête affamée mangerait ce succulent repas et resterait tranquillement dans le bois pour digérer sans avaler personne. A la première tentative, le poulet était brûlé, il ressemblait à un morceau de charbon et le loup n’en voulut pas et retourna manger mère grand et sa petite fille. La deuxième fois, le poulet était vivant et les pommes de terre crues. Le volatile s’échappa bien avant que la fillette ne soit dans le bois et le loup qui ne put profiter du festin se remit à engloutir une fois de plus la vielle dame et la petite fille. Enfin, au troisième essai, le poulet était rôti à souhait et les pommes de terre fondantes, le loup se régala et s’endormit aussitôt après avoir consommé ce repas. Mais l’histoire perdit tout son intérêt et plus personne n’eut de plaisir à la lire car au fond ce qui passionne les lecteurs, est bien que le loup croque la grand-mère et le petit chaperon rouge.

Mais la petite fée Margotte contente de son beau geste décida de s’attaquer à l’histoire de Cendrillon. Elle souhaitait que la jeune fille ait une belle voiture pour se rendre au palais mais elle ne réussit à transformer la citrouille qu’en VTT et Cendrillon qui n’était jamais montée sur un vélo ne put pas se rendre au bal. La fois suivante, la citrouille devint une patinette et celle d’après un scooter. La petite fée Margotte trouva que ce n’était pas si mal et s’attaqua alors à la tenue vestimentaire de la demoiselle. La robe de bal était, selon elle, passée de mode il fallait des vêtements plus adaptés à l’époque et des chaussures plus pratiques. Elle fit plusieurs essais avant d’arriver à une tenue qui lui paraissait convenir : un jean, un polo blanc et des baskets. Mais aucun majordome ne voulut que Cendrillon pénètre dans la salle de bal ainsi vêtue. La petite fée Margotte se remit donc à jouer de la baguette et des formules. Il fallut plusieurs tentatives pour métamorphoser un bouquet de fleurs en une robe richement brodée mi longue, très chic qu’elle porta avec des bottines à talon. Le prince fut ébloui par sa beauté. Ils dansèrent ensemble, et à minuit Cendrillon s’échappa. Comme elle portait des bottines, elle ne perdit pas de chaussure. Le prince qui voulait la retrouver décida de partir lui-même à sa recherche mais il ne la trouvait nulle part et dû partir très loin, si loin qu’il finit par arriver  dans le bois où la belle au bois dormant venait juste de s’assoupir. Il la trouva si jolie qu’il l’embrassa. Le Belle au bois dormant ne fut pas très contente d’être réveillée si vite mais fut néanmoins heureuse de se marier sans comprendre que ce prince charmant était destiné à Cendrillon. Cette affaire sema la zizanie car le prince qui devait épouser la Belle au bois dormant ne l’entendit pas de cette oreille et ce fut la guerre entre les royaumes des deux princes. La petite fée Margotte dut faire appel à ses amies pour remettre un peu d’ordre dans les histoires. Elles s’en sortirent à peu près en mariant Cendrillon au Prince de la Belle au bois dormant mais ce ne fut pas simple. Le conseil disciplinaire des fées faillit priver la petite fée Margotte de son autorisation à exercer la magie, elle s’en sortit plutôt bien et reçut juste un avertissement.

Mais la petite fée Margotte n’en fit qu’à sa tête et entreprit de régler l’affaire de Blanche neige en cassant tous les miroirs du château dans lequel vivait la marâtre. Elle oublia que l’on pouvait se voir dans les lacs et l’histoire ne changea pas beaucoup. Quand l’idée lui vint de s’attaquer au chat botté, les moustaches de Pacha frémirent et son sang ne fit qu’un tour. Au grand soulagement du matou, elle y renonça et finit par se lasser de cette entreprise quand elle comprit qu’elle ne servait à rien. Elle reprit ses activités dans la maison et Pacha eut à nouveau beaucoup de soucis tant et si bien qu’il décida de se trouver un foyer plus calme sans fée ni sorcière.

C’était un si beau chat, si sympathique, si intelligent qu’il n’eut aucun mal à trouver une maison accueillante où il put enfin vivre sa vie de chat. Il y habite encore, vous l’apercevrez peut-être un jour, il tient dans la gueule la baguette magique qu’il a emportée de chez la petite fée Margotte et ne vous avisez pas de le contrarier. Quant à la petite fée Margotte, elle adopta un furet pour se consoler de la disparition de Pacha, et trouva sa vocation dans la cuisine où elle se révéla beaucoup plus douée que dans la magie. Elle finit par ouvrir un restaurant pour fées qui a dit-on grande réputation. Passez au large si vous l’apercevez, les fées sont parfois si malicieuses…

 

MCH

Publié dans contes à rebours

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