Le rêve de la petite grenouille

Publié le par mouettes rieuses

biche-6437.jpgElle vivait dans cette mare depuis qu’elle y était née et elle attendait un prince, mais pas n’importe lequel, le charmant cela va sans dire. Elle ne savait pas que les princes n’étaient pas toujours charmants, loin de là et qu’ils n’aimaient que très rarement les grenouilles si ce n’est parfois au dîner avec du beurre et de l’ail.

Sa mère avait dû lui lire trop de contes quand elle était petite et la petite grenouille, passait son temps à rêver qu’elle était une princesse métamorphosée en amphibienne. Bien sûr, elle restait persuadée qu’un jour elle deviendrait une très très belle jeune fille même si elle ne savait pas bien ce qu’était une belle jeune fille, n’en ayant jamais vu de sa vie. De ce qu’elle avait retenu des histoires qu’elle avait entendues, elle savait qu’il fallait qu’elle soit embrassée pour enfin devenir une princesse. Elle avait aussi cru comprendre qu’il était préférable qu’elle prenne l’initiative du baiser, car les princes pouvaient être un peu timide ou timoré et qu’ils n’oseraient pas forcément l’embrasser ou alors qu’il attendraient si longtemps avant de le faire qu’elle risquait de devenir très déprimée et de vieillir avant que le sort lui soit favorable. Elle devait donc donner un baiser sans attendre à celui qui se présenterait.

La mare était située au milieu de champs où personne ne passait jamais, tant et si bien que la pauvrette s’ennuyait un peu à attendre. De plus, n’ayant jamais vu non plus de prince de sa vie, elle n’arrivait pas à se représenter comment un prince était fait et comment même, elle saurait qu’il s’agit bien d’un prince. Mais elle avait confiance en la vie et ne voulait pas se poser trop de questions. Un jour, un hérisson vint se désaltérer dans la mare et la petite grenouille qui ne voyait jamais personne pensa que ce pouvait être lui. Elle trouvait qu’il avait une drôle d’allure mais se dit qu’il serait dommage de rater son prince aussi lui sauta-t-elle dessus pour l’embrasser. Les piquants de l’animal lui firent très mal. Elle s’éloigna en croassant et en pleurant. Si c’est un prince, se dit-elle, il n’est pas du tout charmant. Elle en déduisit que le hérisson n’était pas plus prince que n’importe qui. Elle décida de ne plus embrasser les hérissons.

Pour se consoler, elle se remit à rêver au soleil en guettant quelques délicieux insectes à gober. Un soir, elle aperçut une silhouette qui approchait de la mare. Elle l’observa en essayant de deviner si c’était là un prince charmant qui approchait. C’était un renard. La petite grenouille le trouva très élégant. Elle attendit qu’il se penche sur l’eau et sauta hors de l’eau pour l’embrasser. Mais le renard surpris faillit la croquer, elle échappa de peu à ses dents comprenant en même temps que ce n’était pas lui le prince charmant et que plus jamais elle ne sauterait sur un renard. C’était beaucoup trop dangereux.

Elle retomba un temps dans sa rêverie avant de voir se profiler, quelques jours plus tard, dans son champ de vision, une créature et elle se reprit à espérer. C’était une forme assez imposante et pas très gracieuse qui avançait vers la mare. La petite grenouille pensa que si c’était là un prince, il n’avait pas l’air très charmant mais elle ne devait négliger aucune piste, il fallait quand même qu’elle tente sa chance. Il s’agissait d’un sanglier. Comme les autres fois, elle patienta jusqu’à ce qu’il se mette à boire et hop, elle sauta pour l’embrasser. Le sanglier surpris secoua violemment la tête en grognant et la pauvre petite grenouille fut projetée dans l’herbe. Elle en fut toute retournée et décréta que ce n’était pas encore l’heureux élu et que plus jamais elle n’embrasserait un sanglier.

Elle retourna dans la mare et s’endormit. Quand elle rouvrit l’œil, elle vit en train de se désaltérer un être étrange assez haut sur pattes avec une bouche longue et pointue qui la surveillait. Cette fois, se dit-elle, ce doit être lui. Mais comment l’embrasser sans se faire mal ? Il s’approchait d’elle doucement en la regardant fixement. Elle en fut toute intimidée et instinctivement plongea et le héron, parce que c’était un héron, claqua du bec dans le vide. Les hérons adorent les grenouilles mais seulement à l’heure des repas. Ils les avalent avec délectation. Une fois de plus, il s’en fallut de peu qu’elle ne périsse et ne finisse dans l’estomac de l’oiseau. Elle décida de se méfier à l’avenir, de tout individu portant une bouche longue et pointue.

Le temps passait mais la petite grenouille conservait la certitude que son souhait allait se réaliser. Sa vie de grenouille était assez tranquille. Parfois elle prenait un peu d’exercice en sautant tout autour de la mare mais elle se lassait de toujours voir le même paysage et elle se demanda si elle ne devait pas s’en allait plus loin. Après réflexion, elle ne mit pas ce projet à exécution, elle risquerait de rater le prince charmant qui, elle en était certaine, viendrait à cette mare et à aucune autre.

Elle fit connaissance avec d’autres créatures. Certaines l’effrayèrent comme la belette qui pourtant présentait bien et qu’elle aurait bien aimé avoir comme prince charmant mais c’était une nouvelle erreur et elle faillit y passer. La rencontre la plus inattendue eut lieu une fin d’après-midi. Devant elle, les herbes bougeaient, et s’écartaient mais elle n’apercevait pas ce qui approchait. Elle eut l’impression que c’était long. Elle perçut un son qu’elle n’avait jamais entendu auparavant comme un sifflement. Devenue un peu méfiante, elle s’immobilisa, les yeux, juste au ras de l’eau pour surveiller la berge. Cette chose très longue et très bizarre n’avait pas de patte. Elle ondoyait. C’était la première fois qu’elle avait affaire à un serpent et celui-là était particulièrement friand de grenouilles. La couleuvre s’arrêta au bord de l’eau, s’enroula sur elle-même et s’endormit. La petite grenouilla s’approcha doucement et une fois de plus se posa la question de savoir si cela pouvait être un prince charmant. Pouvait-elle l’embrasser alors qu’il dormait. Elle n’osait pas trop tenter l’aventure mais après un moment d’hésitation, elle posa vite un petit baiser sur un bout de l’animal. Elle ne sut jamais à quel sort elle échappa. Par chance, elle avait embrassé la queue de la couleuvre et non la tête et le temps que le serpent se retourne pour l’attraper, la petite grenouille s’était réfugiée sous une feuille. Pendant un long moment la couleuvre fureta dans l’eau et dans les herbes pour retrouver sa proie. La petite grenouille n’en menait pas large. Puis le serpent disparut et la petite grenouille retourna dans la mare où elle resta immobile jusqu’à la nuit tombée.

Les jours passaient et il n’y avait toujours pas de prince charmant à l’horizon. Un matin, de très bonne heure, deux créatures très différentes l’une de l’autre, marchaient vers elle, côte à côte. L’une était très haute et l’autre avait la queue qui remuait sans arrêt. Deux d’un coup, elle se demanda comment procéder surtout pour la grande créature parce qu’il fallait qu’elle saute très haut et elle n’était pas sure d’y parvenir en une fois. Il s’agissait d’un chasseur et de son chien. Elle commença par ce dernier lorsqu’il se pencha pour boire mais quand la petite grenouille lui sauta sur le museau, l’animal se mit à aboyer et à tourner sur lui-même la projetant dans la mare. Elle mit à petit moment à se remettre de ses émotions et lorsqu’elle décida de tenter sa chance avec la plus grande des créatures, il n’y avait plus personne. Ils étaient partis.

Après cela, elle commença à se décourager. Parfois, il lui arrivait de ne plus embrasser les êtres qui passaient par là. Elle se languissait. Il y avait pourtant de plus en plus de présences autour de la mare. Il faisait chaud, tous étaient assoiffés et les points d’eau étaient pris d’assaut à la fin du jour. D’autres fois, elle se remettait à espérer et à donner des baisers. C’est ainsi qu’elle embrassa un écureuil roux, un lièvre, un mulot, un rat des champs, une biche, un ragondin….. Mais rien ne se passait jamais comme elle le voulait et elle n’avait toujours pas déniché un prince charmant.

Et puis un jour qu’elle n’espérait plus grand-chose, elle le vit. Là, elle en était sure et certaine, c’était lui, ça ne pouvait être que lui. Il était beaucoup plus beau que tous les êtres qu’elle avait croisés jusqu’à présent. Il avait un je ne sais quoi dans l’œil qui lui fit de l’effet. Elle se sentit toute chose. Il s’approchait fièrement. Elle avança vers lui et n’y tenant plus elle lui donna un baiser. A sa grande surprise, il lui rendit son baiser. La petite grenouille se sentit heureuse comme jamais, elle avait trouvé son prince charmant. Il était vert avec deux tâches jaunes sur le dos et un regard de velours. Elle était devenue sa princesse.

Il lui proposa de l’emmener vers le grand étang où il vivait. C’était un joli étang près d’une clairière ombragée et pleine de fleurs. Sa nouvelle demeure était magnifique. La petite grenouille avait l’impression de vivre un conte de fée. Son prince charmant était tout pareil à elle. Elle venait de comprendre qu’elle était devenue un princesse même si ça ne se voyait pas à l’extérieur, elle le ressentait au-dedans d’elle-même  et c’était cela le plus important.

Ils vécurent heureux dans cet étang et aux nombreuses petites grenouilles qu’ils eurent, elle raconta son histoire de prince charmant en ayant soin de bien préciser que les princes charmants étaient tous de belles grenouilles et seulement des grenouilles et qu’il fallait se méfier de toutes les autres créatures.

Il parait que la même aventure est arrivée à un crapaud qui se prenait pour un prince charmant transformé en crapaud mais il a eu moins de chance que la petite grenouille, parce qu’un jour une couleuvre affamée l’a avalé d’un coup.

Il faut parfois faire attention à ce que racontent les parents. Ils ne disent pas toujours toute la vérité et n’expliquent pas tout comme il faut. Alors, après, ce sont toujours les enfants qui doivent se débrouiller pour tout comprendre tout seul… et ce n’est pas toujours facile.

MCH

Publié dans contes à rebours

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