Peureux chevalier

Publié le par mouettes rieuses

poste-c-bernard-1.jpgBonjour, je m’appelle Godefroy, il y a deux jours, je portais le prénom d’Albert. Je suis marié à une dame, qui se nomme Anne. Je la trouve très belle. Elle a des yeux bleu marine, de longs cheveux noirs et de longues robes de velours qui ne sont pas du tout à la mode mais qui sont vraiment jolies. Celle qu’elle portait ce matin, est rouge brodée d’or. Elle ressemble à une fée. A vrai dire, je ne la connais pas très bien, nous nous sommes rencontrés il y a deux jours à peine… Nous avons un enfant. Un garçon, c’est encore un bébé… Ah oui ! Je vais peut-être un peu vite et vous ne comprenez pas pourquoi et comment, d’un seul coup d’un seul, je suis devenu Godefroy, marié avec un enfant alors qu’il y a deux jours, je m’appelais Albert et je venais d’avoir onze ans. Moi aussi j’ai eu du mal à comprendre ce qui m’était arrivé et j’ai décidé de le raconter avant d’oublier comment ma vie a un jour était toute chamboulée.

Tout a commencé jeudi en fin d’après midi. Ma mère était venue voir si je faisais bien mes devoirs alors que je jouais en réseau sur l’ordinateur. J’avais atteint le niveau cinq d’un jeu en ligne et je voulais gagner car il y avait une récompense pour celui qui remporterait la partie. Ce soir là, elle m’a obligé à éteindre l’ordinateur alors que j’étais pratiquement en train de réussir le niveau 6. J’étais vraiment en colère contre elle mais j’ai dû lui obéir car elle menaçait de me priver de patinage le dimanche suivant - en hiver, avec mon cousin et deux amies, nous allons patiner sur le lac, tous les dimanches – Lorsque mon père est rentré, il a fallu qu’elle lui raconte que je n’étudiais pas correctement, ce qui n’était pas vrai et que je préférais l’ordinateur ce qui était vrai et le pire c’est que mon père la croyait et qu’il était d’accord pour les punitions. Les parents des fois, ça ne comprend vraiment rien. Je n’avais pas éteint l’ordinateur, je l’avais juste mis en veille. Après le dîner, je suis monté me coucher pour lire un peu. Ma mère est passée me dire bonsoir puis mon père qui m’a dit qu’il était l’heure de dormir. Et je me suis endormi. J’ai rêvé que je patinais avec mon cousin et qu’un ours blanc nous accompagnait. Il était énorme et, au milieu du lac, la glace a cédé sous son poids, j’ai crié et ça m’a réveillé. La maison était silencieuse. J’ai regardé par la fenêtre. Il n’y avait personne dans la rue. La lune était énorme et toute ronde, elle éclairait ma chambre presque comme en plein jour. J’ai vu que la lumière de l’ordinateur clignotait et comme tout le monde dormait dans la maison, j’ai eu envie de savoir si quelqu’un voulait jouer avec moi. Il y avait quelques joueurs et j’ai repris la partie où je l’avais laissée. J’étais assez content car je n’avais pas pris de retard, j’avais toujours plus de points que les autres. Au niveau six, j’ai passé un peu de temps pour trouver comment pénétrer dans la forteresse mais j’y suis parvenu le premier. Après quoi, le niveau sept n’était plus qu’un jeu d’enfants, j’ai tué quelques gardes et j’ai délivré la princesse et j’AI GAGNE. Un message s’est inscrit sur l’écran pour me féliciter d’avoir remporté le tournoi et pour m’indiquer que mon prix allait arriver dans quelques minutes. J’étais si excité que je ne me suis même pas demandé qui allait m’apporter un prix, en pleine nuit.

Quelques minutes plus tard, une grande lumière a envahi mon écran et tout est devenu noir, l’écran, la chambre, je ne voyais plus rien, j’avais froid et surtout j’avais l’impression d’être dans un lit. J’ai eu un peu peur… même beaucoup et je n’ai pas bougé. J’ai dû rester immobile assez longtemps. J’entendais quelqu’un respirer à côté de moi. Je ne savais pas du tout quoi faire. Au bout d’un temps qui m’a paru très long, la personne à mes côtés a allumé une bougie. J’étais pétrifié. C’était une femme brune. Elle s’est tournée vers moi et d’une voix douce, elle m’a demandé :

-       Avez-vous bien dormi Godefroy ?

-       Je ne sais pas où je suis ni qui vous êtes et je m’appelle Albert pas Godefroy, que je lui ai répondu.

-       Vous avez encore dû faire de mauvais rêves et vous êtes d’humeur chagrine mais ne vous inquiétez pas je ne vais pas vous déranger, je vais voir si notre fils dort encore.

Et elle se leva et sortit me laissant tout désemparé. Il ne faisait pas chaud. Je n’étais plus en pyjama, je portais une sorte de collant qui me grattait les jambes, une veste en fourrure et un bonnet qui me démangeait la tête. Je regardais autour de moi, je ne reconnaissais rien du tout mais en même temps j’avais l’impression d’être déjà venu là. C’était une grande pièce avec des murs en pierre. J’étais dans un grand lit avec un toit en tissu et des colonnes aux quatre coins. Je voyais une immense cheminée en face de moi avec des bûches à côté et près d’une porte, une table en bois et un siège avec un très haut dossier sculpté. Par la fenêtre, j’apercevais une forêt au loin, une rivière coulait au milieu de prairies recouvertes de neige. Le paysage était si joli que j’en oubliais presque de chercher des réponses à mes questions. Je ne savais pas du tout où je me trouvais mais tout avait pour moi un air de « déjà-vu ». La femme est revenue dans la chambre, portant un bébé dans les bras. Elle s’est approchée de moi et m’a montré l’enfant qui criait en disant :

-       Avez-vous vu comme il vous ressemble ?

Je l’ai regardé sans comprendre de quoi elle parlait. Comment ce bébé si laid et grimaçant, pouvait-il en rien me ressembler et puis comment pouvait-elle dire que c’était mon fils puis que je n’avais que onze ans et que je savais bien que les enfants n’arrivent pas comme ça un beau matin. J’ai gardé le silence. Elle m’a apporté des habits afin « que vous vous vêtissiez » m’indiqua t’elle… elle parlait de manière distinguée… « que vous vous vêtissiez »… jamais je n’aurais dis ça comme ça. J’aurais dit « tiens vl’a tes fringues, pour t’habiller ou « je t’apporte tes affaires, habille-toi ». C’était bien la première fois de ma vie que quelqu’un me parlait ainsi. J’imaginais ma mère se mettre à utiliser ce langage. Ma mère, elle devait s’inquiéter de ne pas me trouver à la maison et mon père aussi. Je devais les prévenir, et leur dire de venir me chercher. Mais je ne savais même pas où j’étais. J’ai demandé à la dame s’il y avait un téléphone. J’aurais parlé chinois, j’aurais obtenu la même réaction. A voir l’expression de son visage, je pensais qu’elle n’avait pas bien compris et j’ai reposé la question en parlant doucement et correctement :

-       Sauriez-vous, je vous prie, s’il y a près d’ici, un poste de téléphone, je souhaiterais beaucoup appeler mes parents.

Elle m’a regardé comme si j’étais fou.

-       Allez-vous bien mon ami ? Qu’entendez-vous par appeler vos parents, ils ne vous entendraient pas, même si vous criiez très fort à la fenêtre. Leur demeure est à 264 lieues d’ici ? Téléphone, téléphone, je ne connais pas ce terme. Qu’est-ce donc ?  

Est-ce à ce moment-là que j’ai compris la situation ou un peu plus tard, je ne me souviens déjà plus mais j’ai soudain réalisé que je connaissais cet endroit. Cette belle dame s’appelait Anne. Elle était mariée à Godefroy et ils venaient d’avoir un enfant. Ils vivaient dans leur château et Godefroy allait partir pour délivrer la princesse….

Mais bien sûr…. J’étais dans le jeu que je venais de gagner. J’avais remporté le prix et je me retrouvais dans la réalité du jeu… En fait, ce n’était plus du jeu… J’étais devenu Godefroy, un preux chevalier qui allait combattre pour délivrer la princesse enlevée par des traitres à la couronne, et qui était maintenue prisonnière dans la tour du château du prince félon. Le téléphone n’existait pas, l’ordinateur encore moins. Pas de télévision, de cinéma, de chauffage central, pas d’électricité, pas de douche chaude… Pour en avoir le cœur net, je m’adressai à celle qui devait être Anne :

-       Anne, je vais devoir partir bientôt délivrer la princesse…

-       Je le sais, ne craignez rien mon ami, je vous attendrais. Je sais que vous vaincrez parce que vous êtes un chevalier courageux.

Pendant un instant, j’ai pensé que je pouvais être dans une émission de télévision comme la caméra invisible. Mais j’ai aperçu mon reflet dans la vitre. Je n’en croyais pas mes yeux. J’étais devenu un homme, je ne me reconnaissais plus. J’ai eu envie de pleurer mais j’ai retenu mes larmes. Je me suis habillé ou plutôt j’ai enfilé les vêtements qu’Anne m’avait apportés et je suis descendu vers les cuisines. J’ai dû faire un effort pour me rappeler comment les pièces du château étaient disposées dans le jeu. Je ne me suis trompé qu’une seule fois. Aux cuisines, une femme m’a servi une soupe chaude avec du pain et un morceau de lard. J’ai trouvé cela écœurant. J’ai encore eu envie de pleurer. Je ne savais pas trop quoi faire aussi ai-je fait comme devant mon écran quand je jouais : Je me suis rendu aux écuries. Le palefrenier avait scellé un cheval… celui de Godefroy surement « Flèche d’or ». Je n’étais jamais monté à cheval. Tout était un peu plus compliqué dans la réalité qu’avec un clavier ou une manette confortablement assis devant mon ordinateur. Avant de me retrouver juché sur l’animal, j’ai dû essayer de grimper dessus plusieurs fois. La balade ne s’est pas trop mal passée. Je suis resté en selle.

J’aurais voulu arrêter le temps et j’aurais donné n’importe quoi même ma play station, pour revenir en arrière, pour redevenir Albert, avoir onze ans et même faire mes devoirs. Mais voilà, je ne savais pas comment redevenir Albert. Tout me paraissait difficile. Je ne voulais pas être un chevalier, je n’étais pas vraiment courageux. J’ai un peu peur de sortir seul dans la nuit et aussi des araignées et d’autres bestioles peu sympathiques.

Je me posais beaucoup de questions. Allait-il falloir que je combatte tous ces soldats ? Que je tue les monstres ? Que j’escalade les remparts ? Que je sois blessé ? Est-ce que je pouvais m’échapper ? Mais pour aller où ?

Dans le jeu, personne ne parle jamais, il y a toujours quelque chose à faire mais avec des « vrais gens », on ne peut pas rester silencieux tout le temps. Et puis cette princesse, qu’est-ce que j’en avais à faire ? Rien. Je ne savais même pas où se trouvait le château dans lequel elle était enfermée. J’avais de plus en plus de mal à penser à ce que je devais faire. Je ne sais pas trop comment mais la première journée s’est enfin achevée. J’avais dû boire du vin avec des chevaliers qui s’étaient arrêtés pour la nuit alors qu’ils remontaient vers les terres du Nord. Dans le jeu, j’avais dû faire alliance avec eux pour combattre les troupes du prince félon mais je n’ai rien fait de tel, je ne savais pas vraiment quoi leur dire, j’ai prétexté que je ne me sentais pas bien, je les ai laissés et j’ai retrouvé Anne près du bébé qui dormait. Elle m’a embrassé et ça m’a fait tout drôle.

La nuit m’a paru longue. Je n’ai pas beaucoup dormi, et au matin, je me sentais fatigué. Je me suis levé et je me suis habillé. J’ai mis les vêtements dans le bon sens et pas devant derrière comme la veille. Je porte une robe… heureusement que mes copains ne me voient pas… ils se moqueraient de moi…et je ne parle pas du reste surtout du bonnet et des chaussures. Si j’avais pu j’en aurais ri …

J’avais pris ma décision pendant la nuit. Je n’irais pas me battre pour délivrer la princesse et tant pis… je m’en fichais bien. J’avais peur, je ne voulais ni me battre ni tuer ni être blessé et j’allais me sauver, ça ne pourrait pas être pire. Anne est venue avec le bébé. Quand il dormait il était presque beau. Elle m’a dit

-       Mon ami, vous allez quitter ce jour le château mais avant que vous ne partiez je voudrais vous offrir cette médaille et cette chaîne, mettez-là autour de votre cou elle vous protégera dans votre mission.

Je l’ai remerciée. Je suis descendu en cuisine j’ai avalé sans broncher la soupe au vin dans laquelle trempait du pain et du lard aussi. Aux écuries, « Flèche d’or » était paré. J’ai eu autant de mal à grimper dessus que la veille. C’est haut un cheval. Et nous nous sommes dirigés vers la forêt. Tout se passa bien jusqu’à ce que le cheval prenne peur devant un sanglier, il s’est emballé. Je ne me suis pas baissé assez vite, j’ai pris la branche en plein front…

Une sonnerie l’a réveillé. Il a entendu sa mère crier « Albert, il est l’heure de te lever ». Il était dans son lit. Jamais il ne s’est levé si vite. Il a couru embrasser sa mère qui n’en est pas revenu. Ainsi il avait juste rêvé. Que c’était bon de se retrouver au chaud, de boire du chocolat et non pas du potage. Il se rendit dans la salle de bain. Il ôta son pyjama pour prendre une douche et dans le miroir, il la vit, la médaille autour du cou et une rougeur au front…

Le soir, il monta aussitôt apprendre la leçon d’histoire qui portait sur le Moyen-âge. Il regarda de loin, l’ordinateur, il n’osait pas l’allumer mais il en avait envie. Après le dîner il n’y tint plus, il s’installa devant son écran et se mit à chercher un jeu en ligne mais il avait beaucoup réfléchi et cette fois on ne l’y prendrait plus, c’est l’espace qu’il visait, le futur devait être plus amusant que le passé. Il serait moins peureux avec un sabre laser… Il cliqua…

MCH

Publié dans contes à rebours

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