Le petit gardien de musée

Publié le par mouettes rieuses

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C’est vrai qu’il était petit. Il était même très petit. Si petit que personne ne le remarquait vraiment. Il était l’inaperçu. Longtemps, il avait rêvé rencontrer un génie emprisonné dans une théière ou une cafetière, qu’il aurait délivré, et qui pour le récompenser, aurait exaucé son vœu de grandir. Ou bien, une fée dans une forêt, près d’une fontaine, déguisée en vieille femme fatiguée qu’il aurait aidée à porter son seau d’eau, et qui pour sa gentillesse, lui aurait accordé son souhait d’avoir une taille normale. Même une sorcière lui aurait convenu. Elle l’aurait fait trop grandir d’un coup, exprès pour l’embêter, il serait devenu très grand et tout le monde aurait pu le voir partout et tout le temps et ça ne l’aurait pas gêné du tout. Mais rien de tel n’arrive ainsi dans la vie réelle qui n’est pas souvent un conte de fée, et même s'il ne cessait de croire au merveilleux, il avait, à l'âge adulte, conservé cette taille minuscule. Il y trouvait parfois quelques modestes avantages.


 

Enfant, il dérobait des bonbons chez la boulangère sans se faire remarquer. A l’école, il n’était jamais interrogé puisque les professeurs ne le regardaient pas et puis il était bien trop petit pour arriver à écrire au tableau, même en se mettant sur la pointe des pieds. Il avait été un élève distrait, un rêveur qui pensait oiseaux, fleurs, bateaux au lieu de grammaire, mathématiques, histoire. Il n’y avait que la poésie qui l’intéressait vraiment. Les poètes savent si bien jouer avec les mots. Il aimait les images que les poèmes faisaient naître. Avec ses crayons et ses pinceaux, il en faisait des tableaux. En dessin, il ne s’en sortait pas trop mal. Il mettait de la couleur partout où il pouvait. La peinture dont il décorait son cahier de maths lui valait des remontrances. Il ne comprenait jamais pourquoi. C’est si joli du bleu, du rouge, du vert, du jaune, à côté des additions, des soustractions, des multiplications et des divisions. Ça les rend moins tristes. Sans couleurs, les pages de calculs sont comme un ciel sans oiseaux. Les professeurs auraient dû le féliciter au contraire. Mais rien ne se passait comme il le pensait.


 

Enfin il quitta l’école, il voulut être dessinateur-poète ou l’inverse. Il écrivit des poèmes en prose et en vers qu’il illustrait de dessins très vifs et colorés. D’autres fois, il dessinait des paysages, des visages, des formes étranges avec des couleurs vives et lumineuses. C’était beau, tout le monde le disait mais ça ne lui faisait pas gagner beaucoup d’argent. Il ne savait pas les vendre alors il les donnait. Parfois les gens le payaient mais pas souvent. Il n’avait pas beaucoup d’argent.


 

Un jour, alors qu’il visitait pour la cinquième fois un musée où il voulait encore et encore contempler un tableau peint par un artiste nommé Gaston Chaissac* avec plein de couleurs émerveillées, le conservateur du musée l’aperçut. Le conservateur était un homme intelligent qui aimait passionnément les couleurs, la poésie, la musique. Lui aussi était un rêveur mais il n’était pas petit, c’était un grand monsieur. Le conservateur avait déjà remarqué ce petit homme parce qu’entre rêveurs on se reconnaît. Il décida d’aller lui parler et c’est ainsi qu’ils se lièrent d’amitié. Ils partageaient leurs rêves, leurs poèmes et leurs couleurs et ils étaient heureux de pouvoir se les raconter.


 

Le conservateur voulut aider son nouvel ami. Il eut une brillante idée, il lui proposa un poste de gardien de musée. Il pourrait contempler tout à loisir ses toiles préférées tout en surveillant les visiteurs qui parfois touchaient les tableaux et pire voulaient gribouiller dessus, et ça c’était vraiment interdit. Comme il était petit, personne ne le remarquerait, il pourrait mieux observer les gens et surveiller le musée. Le petit homme pensa qu’il lui serait toujours possible d’écrire des poèmes dans sa tête pendant la journée pour les mettre en couleur quand il rentrerait chez lui, le soir et le lundi, son jour de congé.


C’est ainsi qu’il devint gardien de musée. Il aimait passer ses journées à détailler les toiles. Il avait décidé d’en choisir chaque jour une pour composer un poème en la regardant. Ça l’inspirait beaucoup. Souvent il oubliait les visiteurs mais il faut dire qu’il y en avait peu dans la semaine. Le musée était assez calme sauf le dimanche et ça lui convenait. Parfois, des enfants arrivaient par classe entière. Ils se mettaient à courir partout. Le petit gardien de musée devait alors faire attention que les gamins turbulents ne commettent pas de bêtises. Le plus souvent, les enfants s’asseyaient sur le parquet pour écouter la maitresse qui leur demandait d’observer les tableaux et dire ce qu’ils voyaient. Puis, ils dessinaient sagement. Lui, il restait à les regarder remplir leurs feuilles de couleurs qui éclaboussaient la salle et c’était beau.


 

Il était heureux. Il aimait ce qu’il faisait. Il vivait en couleur lorsqu’il était au musée et en noir et blanc quand il sortait dans la ville qu'il trouvait trop grise. Il avait assez de temps pour écrire et dessiner et surtout il avait un ami, son premier ami, et pas n’importe qui, le conservateur du musée avec lequel il allait déjeuner quelquefois. Et les jours passaient en douceur.


 

Même si le musée n’était pas très grand, il exposait beaucoup de tableaux. Tous n’étaient pas accrochés sur les murs. Un jour, son ami l’emmena dans la réserve. Il fut émerveillé par la quantité de peintures et de dessins qui s’y trouvait. Il aurait voulu rester longtemps dans la pièce et même y dormir mais il ne confia pas son envie. Il resta silencieux, ses yeux brillaient et il souriait. Le conservateur lui expliqua qu’une partie de ces tableaux allait bientôt être exposée car le musée devait s’agrandir. Deux grandes salles et une plus petite seraient ouvertes au public après l’été.


 

Pendant les vacances, le temps lui paru long, loin du musée et de son ami. Il eut envie d’adopter un chien pour lui tenir compagnie mais ces animaux lui paraissaient un peu encombrants et surtout assez gros pour lui faire un peu peur quand même. Il ne pouvait pas avoir de chat, leurs poils le faisaient éternuer terriblement. Il ne voulait pas d’oiseaux en cage ni de poissons en bocal. Il resta seul et décida d’aller voir la mer. Il n’avait jamais vu la mer. Il fut ébloui, il en revint plein de poésies, de dessins et de rêves bleu ciel avec des vagues et des mouettes.

 

Au mois de septembre, il fut content de revoir son ami et de retrouver la palette de couleurs que les peintres avaient laissée sur tous les murs du musée. C’était un petit homme généreux, il aimait tous les artistes qui savent si bien ouvrir des fenêtres sur le monde. Les nouvelles salles étaient ouvertes au public. Il y avait un nouveau gardien pour les surveiller. C’était un homme assez désagréable qui faisait semblant de ne pas le voir sauf lorsqu’il voulait aller regarder les tableaux dans cette partie du musée qu’il ne connaissait pas encore. Le nouveau gardien se mettait alors en colère et lui disait qu’il devait rester dans les salles dont il était responsable et faire son travail. Il ajoutait qu’avec sa taille, il ne devait surement pas bien le faire mais enfin que ce n’était pas lui le directeur et heureusement car lui ne l’aurait jamais employé. Le petit gardien devint un peu triste mais n’osa rien dire à son ami, il avait peur que le nouveau gardien ne se venge s’il le faisait.


 

Il resta dans les salles qu’il avait à surveiller mais de ne pouvoir aller contempler les tableaux qu’il n’avait pas pu voir, le rendait triste. Il dormait mal, et même un jour il pleura. Mais la chance lui fit un grand sourire, le nouveau gardien attrapa la grippe et ne put venir au musée pendant toute une semaine. Son ami lui demanda si ça l’ennuierait de garder tout le musée. Le petit homme en fut très heureux, il accepta avec joie. La première journée fut très calme et il passa du temps dans les nouvelles salles à observer et admirer les tableaux. Il les trouva encore plus beaux que les autres, c’étaient des peintures plus modernes, aux couleurs plus lumineuses. Elles ressemblaient à ses dessins, enfin juste un peu, mais tout de même suffisamment pour le mettre en joie. Il resta dans les deux grandes salles et oublia la petite. Il y eut juste une quinzaine de personnes ce jour-là dans le musée.


Le lendemain, il se souvint de l’existence de la petite salle. Il s’y rendit. Il n’y avait qu’un seul tableau. En le voyant, il eut un grand choc. Il resta comme pétrifié. Il n’osa plus bouger devant tant de beauté. Ce n’était pas une grande toile, elle était petite et le petit gardien l’en aima davantage encore. Elle représentait une femme qu’il trouva si belle qu’il tomba instantanément sous son charme. Il n’arrivait pas à détacher le regard de ce visage si délicat, élégant et coloré. Elle avait de grands yeux qui n’étaient pas alignés, jaunes comme des soleils avec, en leur centre, un point vert comme l’océan quand il est en colère. Sa bouche blanche, en forme de voile de bateau, remontait vers la joue gauche. Son nez partait du milieu du front et lui barrait le visage d’un trait brisé rouge, divisant son visage en deux parties. Et que dire de sa chevelure bleue qui ondulait comme un champ de blé sous la caresse du vent. La dame était un paysage tout en couleur comme il n’en avait jamais vu auparavant et il en fut si ému qu’il en oublia d’allait surveiller le musée. On le chercha partout, et quand son ami finit par le retrouver, il dut lui rappeler qu’il devait faire attention pendant son temps de travail à ne pas être trop distrait. Le petit homme promit. En le voyant ainsi figé devant cette œuvre si particulière, le conservateur comprit que son petit gardien était chamboulé. Il en fut heureux car il considérait que les grands artistes devaient être bouleversants mais, en même temps, il était un peu inquiet car il connaissait la légende qui entourait ce tableau et c’est bien pour cette raison qu’il avait hésité à l’exposer et avait fini par le suspendre un peu à l’écart dans cette petite salle.


 

Et tous les jours où le petit gardien eut à surveiller ces nouvelles salles, il trouva des raisons pour aller contempler cette belle dame et rester plus longtemps qu’il n’aurait fallu face à elle. Il se demandait comment il allait déjouer la surveillance du nouveau gardien lorsque celui-ci reviendrait travailler et qu’il l’empêcherait de se rendre dans cette salle. Les journées passaient vite, trop vite et plus la fin de la semaine approchait, plus le petit gardien était triste et plus il restait longtemps devant la toile du maître. Il en oubliait de déjeuner, il ne dormait presque plus ou très mal. Il était amoureux mais ne le savait pas. Mais est-ce bien sérieux d’être amoureux d’un tableau ? Le conservateur se faisait un peu de souci à son sujet et se promit de lui raconter l’histoire de l’artiste qui avait peint ce tableau, son dernier tableau et surtout ce qui lui était arrivé ensuite, sa mélancolie et sa mystérieuse disparition.


 

Le dernier jour de la semaine, le petit gardien eut l’idée de se faire enfermer dans le musée pour la nuit. Peut-être pensa-t-il qu’il pourrait même y rester le lendemain, jour de fermeture du musée. Toute une nuit en compagnie de la belle, il en rêvait. Et c’est ce qu’il fit. Le gardien de nuit qui dormait la plupart du temps ne le remarqua pas. Que se passa-t-il alors ? Personne ne le sut jamais parce que nul ne revit plus le petit homme. Seul son ami, le conservateur, devina que cette disparition avait à voir avec le tableau de la petite salle. Il sourit tristement car il supposait que son ami devait être heureux à présent mais ils ne se verraient plus. Il ne confia à personne qu’il y ait de forte chance que le petit gardien se trouve quelque part dans le tableau. Il savait que la magie de l’amour pouvait faire des miracles. Il se garda bien de le dire car personne ne l’aurait cru. Il scruta la peinture tant qu’il put sans réussir à apercevoir le petit homme.


 

Un jour, un enfant s’égara dans le musée, le conservateur qui avait été appelé, le chercha. Il le trouva dans la petite salle. L’enfant semblait fasciné par la peinture. Le conservateur s’approcha de lui et lui demanda doucement « que regardes-tu avec autant d’attention ? » Le petit garçon pointa son doigt vers un point du tableau et dit : « Là, il y a un petit monsieur qui sourit ». Le conservateur écarquilla tout grand les yeux mais ne vit rien d’autre qu’un point. Toutefois en son for intérieur, il sut que l’enfant avait vu son ami ce qui lui confirma que le petit homme avait rejoint sa belle et qu’il était enfin heureux. Il fut juste un peu désolé de ne plus être un enfant rêveur pour voir ce qui reste invisible aux autres.


 

Alors qu’il raccompagnait le garçonnet à sa mère qui, inquiète, l’attendait à l’entrée, celui-ci lui dit : «Monsieur, j’allais oublier quelque chose. J’ai causé avec le petit homme. Il voulait te remercier pour tout ce que tu as fait pour lui et te dire de ne pas te faire de souci pour lui parce qu’il vivait tout en couleur et que c’était beaucoup de bonheur. Il a ajouté que tu pouvais venir le voir ça lui ferait très plaisir. ».


 

C’est pour cette raison que chaque soir, avant de quitter le musée, le conservateur se rend dans la petite salle pour saluer son ami. Mais il a beau essayer encore et encore, il ne le voit jamais sauf peut-être une fois mais il pense que ce pouvait être en rêve. Il faut des yeux d’enfants pour voir la magie des choses.


 

Si vous visitez ce joli musée et que vous remarquez dans une petite salle, un homme immobile face à un tableau, ne le dérangez pas, c’est surement le conservateur qui rend visite à son ami et ne désespère pas de l’apercevoir un jour.

 

 *Gaston Chaissac, peintre, sculpteur, «écrivain vécut au 20e siècle. Artiste solitaire, Gaston Chaissac fabriquait les poèmes-objets, les assemblages et collages, les sculptures-totems en bois brut mais aussi des dessins et des peintures.

 MCH

Publié dans contes à rebours

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